Il y a quelques semaines, nous avons reçu Justine et Pierrick du groupe de folk Skáld, qui sont venus nous parler de la sortie de leur deuxième album. À travers ce nouvel opus, ils raconte une fois de plus une histoire, celle des peuples septentrionaux et leur rapport à la nature et l’océan. Interprétés en vieux-norrois (l’ancienne langue des peuples du nord), les 11 titres réveillent des récits oubliés de continents perdus et à présent immergés par la fonte des glaces, comme le Doggerland reliant jadis la Grande-Bretagne à la Scandinavie. « Vikings Memories » évoque les mythes fondateurs du déluge et des apocalypses annoncées, mais voyage aussi en compagnie des aventuriers et marins qui, de tout temps, ont sillonnées les eaux les plus dangereuses de la planète.
RiskTheDeath: Tout d’abord, d’où vient le nom du groupe : est-ce qu’il vient des scaldes qui étaient des poètes, qui chantaient les mythes et légendes qui relatent les exploits des dieux et héros ? Par ailleurs, le logo du groupe est une bindrune, c’est-à-dire une ligature de plusieurs symboles issus de l’alphabet runique : que signifie le vôtre ?
Justine : Hello, merci pour ton intérêt ! SKÁLD fait effectivement référence aux poètes du moyen âge, des personnages qui louaient les exploits des héros et des grandes lignées, et décrivaient toute sorte de choses, objets, mythes… Son étymologie faisant directement référence au son et à la « voix ». Notre logo est le fruit de nos runes personnelles rassemblées en une seule. Il est notre emblème, une sorte de dessin magique, le totem d’un groupe de personnes, d’un clan.
Pierrick: Les scaldes avaient un rôle d’une importance capitale dans la société des anciens norrois. Ils étaient ceux qui détenaient l’art de la poésie, avec lequel ils immortalisaient la mémoire des hommes. La tradition orale s’exerçait et œuvrait à travers leurs dires, en faisant ou défaisant les réputations des Jarls, des Rois et des Dieux. Toute une sagesse nordique nous est parvenue grâce à eux.
RTD: Votre premier album « Le Chant des Vikings» s’est vendu à plus de 80 000 exemplaires et a été écouté près de 100 millions de fois : est-ce que vous vous attendiez à un tel succès ?
Justine : Absolument pas, je ne pensais pas que ce projet plairait autant et surtout à des personnes d’horizons complètement différents. Il suffit de venir à nos concerts pour s’en rendre compte !
Pierrick: C’est une véritable joie de constater l’engouement qui s’exprime autour de notre univers. Les anciens ne sont pas oubliés, ils sont célébrés, nous insufflons un vent ancestral dans ce monde moderne, c’est devenu une motivation. Beaucoup de personnes nous remercient et nous confient en avoir été inspiré dans leur quotidien, ça nous pousse à croire en notre démarche.
RTD: Vous utilisez des instruments traditionnels, dans votre musique ; d’ailleurs Pierrick, en tant que multi-instrumentiste, tu as réalisé quelques vidéos explicatives de ces instruments : l’idée de ces vidéos t’est-elle venue de ton envie de partager ton amour pour la culture nordique ou plutôt de l’interrogation et la demande de vos fans ?
Pierrick: Peu de gens ont l’occasion de croiser un joueur de Nyckelharpa ou de Lyre… C’est donc un bonheur que de voir leurs yeux briller lorsque je leur explique le fonctionnement d’une vièle à clefs et de ses cordes dites « sympathiques ». Il y a tellement de sons et de vibrations à redécouvrir… Elles font parties de nous, elles sont inscrites dans notre mémoire, il suffit de se fermer les yeux et d’écouter, nous ne faisons que réveiller de vieilles mémoires…
RTD: Certains instruments, et notamment la skáldharpa, ont été spécialement conçus pour le groupe : quelles sont les particularités de cet instrument fait sur mesure ?
Pierrick: Nous ne composons pas en fonction des capacités d’instruments traditionnels. Cela pourrait nous empêcher d’aller là où nous voulons, notre liberté créatrice pourrait être réduite. Pour satisfaire certains besoin, j’ai demandé à Jean-Claude Condi, le luthier vosgien spécialisé dans la musique scandinave, de me fabriquer une vièle hybride, avec un manche fretté, des cordes sympathiques. Le son obtenu ne ressemble à aucun autre.
RTD: Votre nouvel album « Vikings Memories» parle davantage de l’eau que de la terre et du feu : les éléments ont-ils une importance dans les légendes et la mythologie nordique ? Dans cette hypothèse, y aura-t-il un opus qui se consacrera plutôt sur l’élément « air » ?
Justine : Effectivement nous parlons dans nos textes de maelströms, de vagues géantes que les valeureux marins devaient affronter lors de leurs expéditions ; mais nous évoquons de manière générale le rapport à la nature qu’avaient les peuples du nord, leurs peurs face aux événements climatiques et leur profond respect pour les éléments. Au-delà de mythologie nous parlons d’événements réels qui se sont produit il y a bien longtemps, dont nous avons des traces archéologiques. Pour en revenir à ta question, certains de nos textes parlent déjà de l’élément air par exemple, dans notre titre « Fimbulvetr » nous parlons d’un aigle qui produit un vent glacial sous ses ailes immenses.
RTD: Ce deuxième album, est également marqué par le départ de Mattjö, ne laissant alors que deux chanteurs : quelle est la raison de ce départ ?
Justine : Mattjö n’est plus de la partie depuis un moment et nous ne souhaitons pas communiquer sur ce sujet.
Pierrick: Le costume ne fait pas le musicien.
RTD: Dans ce nouvel album, on y trouve des morceaux tantôt pacifiques et voyageurs tantôt guerriers et tribaux ; 11 titres qui évoquent le récit des trois lumières magiques du Bifröst ou encore le récit du Doggerland qui reliait autrefois la Grande-Bretagne à la Scandinavie : ces récits ont-ils une signification particulière pour vous ?
Justine : Traiter de ces sujets (catastrophes climatiques, terres englouties, ras de marée…) nous permet de faire un parallèle avec notre monde actuel : nous vivons actuellement dans une société malade, nous consommons trop, produisons bien trop de déchets et participons directement au réchauffement climatique et à la montée des eaux. Alors oui, ces textes résonnent en nous car il est temps d’apprendre à consommer d’une autre façon, il est temps d’ouvrir les yeux sur l’impact que l’être humain a sur la nature.
Pierrick: Notre perception du monde a tendance à être figée. Nous pensons tout connaître sur notre Histoire, notre environnement. Ces récits mystérieux sont paradoxalement porteurs de lumière et nous poussent à revenir sur certaines certitudes. Ce faisant, nous apprenons sur nous-mêmes, gagnons en humilité et envisageons notre caractère éphémère et absurde. Rien n’est immuable.
RTD: « Fimbulvetr» qui signifie « le grand hiver » est le premier morceau que vous avez sorti ; il parle alors de l’hiver de trois ans qui précède le Ragnarök : pourquoi avoir choisi ce titre pour présenter l’album, plutôt que « Sækonungar » ou « Hafgerðingar » qui ont un lien plus visible avec la mer, et donc plus direct avec le thème de ce deuxième album ?
Pierrick: Le thème de l’album n’est pas la mer, même si celle-ci est omniprésente. Nous annonçons avec le grand hiver le début d’une fin de cycle, d’une transition. Un voyage commence, les rivages sont altérés, il faut du courage, une âme d’explorateur pour oser braver un Destin à cheval entre deux âges. L’album se termine avec « Nýr », qui confirme un nouveau départ.
Justine : « Fimbulvetr » parle d’un hiver long de trois ans, d’une catastrophe climatique sans précédent. C’est une bonne introduction pour cet album, une sorte de « réveillez-vous » une façon de se connecter au thème de l’album ; une forme d’éveil où un enfant découvre une pierre runique faisant référence aux présages de la pierre de Rök retrouvée en Suède, dont l’inscription laisse deviner la peur des peuples face à une nouvelle crise climatique semblable au « Fimbulvetr » qui engendra la famine, la maladie, les migrations et extinction de certains peuples.
RTD: (La plupart) des chansons sont chantées en vieux-norrois, une ancienne langue des peuples du Nord : avez-vous dû apprendre cette langue pour chanter vos propres textes ou vous vous « contentez » de réciter des chants déjà existants ? Dans le premier cas, l’apprentissage a-t-il été difficile ?
Justine : Pour le premier album nos textes étaient très fortement inspirés de l’EDDA poétique, un recueil de poésie scaldique du XIIIème siècle. Pour « Vikings Memories » nous avons adapté nos textes au message que nous voulions faire passer. Personnellement, j’adore chanter en vieux norrois, ça me permet de rentrer complètement dans mon personnage et d’expérimenter d’autres sonorités avec ma voix. Même si je ne la parle pas couramment, l’apprentissage de cette langue est assez instinctive pour ma part et très naturelle.
Pierrick: Notre travail n’est pas de réciter. Nous étudions le sens de ces textes, qui sont sujets à débats. Les scaldes parlaient en énigmes, usaient de beaucoup de systèmes poétiques pour que leurs intentions puissent être sources de réflexions. Beaucoup de messages se cachent dans leurs évocations, nous offrons une piste personnelle. Christophe Voisin-Boisvinet, qui fait parti du groupe, a aussi écrit des textes originaux. Certains sont des agencements de textes anciens, avec un concept en rapport à notre intention.
RTD: En Septembre dernier, vous avez fait la reprise de la chanson « Seven Nation Army» du groupe The White Stripes, qui paraît très rock : ce cover est-il vu comme une sorte de défi, une façon de sortir de votre zone de confort ?
Justine : Les reprises que nous avons faites ont été un gros challenge, nous voulions adapter ce que nous faisions à quelque chose de plus moderne. C’était assez dingue de faire sonner un titre emblématique comme « Seven Nation Army » avec des instruments anciens !!
RTD: Pendant le confinement, vous avez fait une reprise du traditionnel chant norvégien « Villemann Org Magnhild» qui a été popularisé par le groupe In Extremo : malgré qu’ils évoluent/mettent en avant une ambiance plutôt médiévale, le groupe est-il une influence pour vous ? E-ce qu’on peut espérer un jour, vous voir jouer cette chanson ensemble sur scène ?
Pierrick: Nous n’avons pas encore partagé de scène avec In Extremo, ce devait être le cas l’été dernier mais le virus à chamboulé nos agendas. Espérons que le report de ces dates soit honoré, nous verrons…
Justine : Effectivement, nous avons quelques dates partagées avec In Extremo qui est un groupe très influant dans la musique Folk metal, nos inspirations sont bien différentes mais ce serait vraiment génial de pouvoir jouer ce titre avec eux !
RTD: Skáld propose une expérience musicale, mais également une expérience scénique, qui vous ont permis de vous produire à l’étranger et d’être à l’affiche de grands festivals européens : quel est votre meilleur souvenir ou votre meilleure anecdote de tournée ?
Justine : Mon meilleur souvenir restera le Hellfest, si on m’avait dit un jour que j’aurais l’occasion d’y jouer je n’y aurait pas cru !
Pierrick: Nous avons enchainé deux dates très éloignées géographiquement, entre le Portugal et la Russie, l’aventure fut intense. J’en garde de très bons souvenirs, même si nous avons vécu une épopée éprouvante et juchée d’embûches. Notre passage au Samarock Festival, au parc archéologique de Samara, était lui aussi inoubliable. Jouer aussi en Suisse au Rockozarenes sous un orage magnifique devant une foule hypnotisée était fantastique. Le Marteau frappait le ciel en suivant nos rythmes. Un light show naturel et divin…
RTD: En vous remerciant pour vos réponses ; bonne continuation dans les projets futurs de Skáld…
Justine : Merci à toi !
En remerciant, Romain de l’Agence Singularités pour l’opportunité de cette interview; Skáld et plus particulièrement Justine et Pierrick pour leurs réponses…