Interview: Théophile de Bruit ≤

Bruit ≤ naît de l’envie de ses membres de tourner le dos aux majors en renouant avec un processus de création sans contraintes. À ses origines, le projet Bruit ≤ est un laboratoire sonore qui fait ses expériences en studio. Une recherche progressive qui tend sans cesse à repousser les limites des genres musicaux. Bruit ≤ se traduit par des compositions instrumentales intenses où se mélangent post-rock, éléments électroniques et arrangements classiques…

RiskTheDeath : D’où vient le nom du groupe? Et notamment la signification du « ≤ ».

Théophile: Le nom du groupe remonte au tout début quand le projet était juste une sorte de labo de son et qu’on s’amusait à faire des jams noise. En parlant des noms de groupes à une syllabe comme Pneu, un pote nous a suggéré de s’appeler Bruit. Le projet n’est plus du tout noise mais on a jamais réfléchi à quelque chose d’autre et puis on trouve ça intéressant de brouiller les pistes. Les gens pensent souvent que le “≤” c’est le signe inférieur ou égal. En fait c’est un symbole classique de “crescendo” joué appuyé, on trouve que ça correspond plutôt bien à l’intention qu’on essaye de mettre dans nos compositions.

RTD : À ses origines, le projet Bruit ≤ était un laboratoire sonore: qu’est-ce qui vous a poussé à entrer en studio et enregistrer ces expériences?

Théophile: À force de jam naturellement on a commencé à garder des plans, en faire des compos puis on a voulu tester tout ça en live sur la scène toulousaine. Comme nos morceaux étaient des espèces de medleys de toutes nos influences mises bout à bout, ça n’avait pas beaucoup d’intérêt autre que de se défouler. Alors on a décidé de faire une pause de quelques mois, réfléchir à un mariage de nos influences musicales qui soit original, avoir un concept propre à Bruit ≤ et quand on s’est remis à composer c’était vraiment dans le but d’enregistrer un EP.

RTD : Dans votre musique, on note la présence d’un violon et d’un violoncelle (et autres instruments), ce qui est assez inhabituel dans un groupe de post-rock (aux multiples influences): pourquoi avoir intégré ces instruments atypiques ? Qu’apportent-ils de plus que les instruments classiques (guitares, basse, batterie) ?

Théophile: Clément (violon) et Luc (violoncelle) ont une formation classique et Clément s’est mis à la basse pour Bruit ≤. Le violon et le violoncelle sont leur instrument principal et c’était assez naturel de les intégrer au projet. Ça permet aussi à Clément d’écrire des arrangements de cordes sur les disques. L’influence classique est très présente dans la musique de Bruit ≤, c’est une influence qu’on a voulu incorporer dans ce projet dès le premier EP.

RTD : Vous avez sorti votre premier album « The Machine is Burning and Now Everyone Knows it Could Happen Again », le 2 avril : pourquoi avoir choisi un nom d’album aussi long?

Théophile: En général on essaye d’éviter les clichés post-rock et si on fait quelque chose qui y ressemble on fait rapidement machine arrière. Quand on a eu l’idée de ce titre il était plus court mais en essayant de préciser le sens de la phrase on a modifié la tournure en anglais, et la phrase a fini par s’étirer. Sur de la musique instrumentale le peu de mots contenu dans un album réside seulement dans les titres ou les samples de voix donc le fond était plus important que la forme et on s’est dit “tant pis pour la longueur”. Et ça n’a pas loupé, on nous dit régulièrement que c’est le titre d’album le plus “post-rock” qui soit, mais on nous dit aussi que c’est un titre original et lourd de sens donc pas de regrets !

RTD : L’album est conçu comme un film sans images et est découpé en deux chapitres: pourquoi ce format/découpage? Que représentent ces chapitres?

Théophile: L’album parle d’un éternel recommencement, de chutes, de renaissances, de rechutes d’où les deux parties qui correspondent à ce cycle. Sur vinyle ça correspond aussi aux deux faces et on a décidé de terminer l’album par le premier son de l’album pour que le cycle soit vraiment un éternel recommencement dans la symbolique comme pour ce qui est de l’objet en lui-même. Ça correspond aussi à notre vision du disque en tant que concept album, plutôt que de créer un catalogue de morceaux courts et très découpés on préfère créer une longue œuvre composée de mouvements ce qui permet de se plonger plus en profondeur dans l’album en perdant un peu la notion du temps.

RTD : À sa sortie, l’album ne sera disponible qu’en version digital et sur votre bandcamp; puis une édition vinyle au printemps prochain: pourquoi ne pas sortir de version physique (CD)? Et pourquoi sortir un format K7, en 2021?

Théophile: Le CD c’est tout simplement une version digitale comme tu peux l’avoir dans ton ordinateur, c’est propre, c’est fidèle au rendu de l’album sorti du studio mais ça n’apporte rien de plus que la version de Bandcamp. Si c’est pour acheter un objet, le vinyle est bien plus beau. Pour ce qui est du son, on trouve que la cassette et le vinyle apportent vraiment quelque chose de différent. Le son de cassette a des défauts mais c’est ce qui fait le charme des cassettes justement.

RTD : Vous présentez le projet comme « l’auditeur ne peut que très rarement se raccrocher à un thème ou une voix, il se laisse alors immerger dans des atmosphères impalpables permettant à l’imaginaire de créer les contours d’une histoire dont lui seul est le maître »: votre musique a-t-elle pour but de désorienter, faire voyager l’auditeur, ou encore le laisser imaginer sa propre histoire? Et notamment vaciller entre la puissance avec « Industry » et la douceur avec « Renaissance ».

Théophile: Oui complètement, c’est vraiment notre but en faisant de la musique instrumentale et long format. Les titres et les samples de voix viennent donner des petites indications, des idées de réflexion mais à part ça chaque auditeur est libre d’imaginer son propre scénario. Les différentes intensités sonores sont aussi là pour transporter l’auditeur. La musique qu’on aime écouter est souvent construite comme ça, elle t’emmène d’un point à un autre en te plongeant dans des atmosphères chargées en émotions.

RTD : Le titre « Renaissance » est un conte philosophique, qui expose l’effondrement d’une humanité mais qui renaît de ses cendres et prend alors racine dans la nature: est-ce que tu/vous pouvez nous en dire plus?

Théophile: Ce morceau est une sorte de tableau qui répond à “Industry” le morceau précédent. Après avoir constaté une dérive de la Culture qui mène l’humanité à sa perte, on essaye de peindre une ébauche de civilisation renaissante qui se reconstruit sur des bases plus saines. Tout le début de ce morceau a été écrit en se demandant quelle musique on ferait demain si on devait jouer sans électricité, c’était une sorte d’exercice de style et le résultat nous a plu donc il a trouvé sa place sur l’album.

RTD : Ce titre a été mis en image par Mehdi Thiriot avec des symboles qui mettent en lumière le conflit entre la Culture et la Nature: quels sont ces symboles? Pourquoi avoir choisi un format vertical plutôt que horizontal?

Théophile: Le format vertical rappelle le concept de la pochette de l’album et permet de montrer l’essentiel. Le conflit entre Nature et Culture alimente tout l’album et Mehdi a choisi beaucoup d’images qui peuvent être mises en oppositions comme par exemple des paysages naturels vs des paysages industriels, etc…

RTD : Le clip de « The Machine is Burning » a été tourné dans l’Église du Gésu à Toulouse, en Novembre dernier: ça vous tenait à cœur de tourner dans votre ville et notamment montrer votre patrimoine historique?

Théophile: Oui, on est heureux d’avoir pu montrer ce lieu et d’avoir eu la chance de faire sonner le superbe orgue Cavaillé-Col. Mais en réalité on a découvert l’existence de ce lieu que très récemment lorsque Yann, un ami à nous, a organisé un concert dans l’église du Gesu. Le morceau « The Machine is Burning » avait été basé sur un sample d’orgue dès le départ et c’est en découvrant ce lieu qu’on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose ici. C’était une journée assez dingue qui nous a demandé une organisation colossale mais ça en valait vraiment la peine.

RTD : Pour ce clip, vous avez eu la chance d’être accompagné de la section cuivre de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse et de l’organiste Wanying Lin: comment avez-vous vécu cette expérience incroyable?

Théophile: On se sent vraiment chanceux. Jouer au côté de musiciens de talent qui n’ont pas eu peur de s’embarquer avec nous dans une idée aussi excentrique et dans une journée de tournage aussi intense, ça a vraiment été une expérience incroyable qu’on n’est pas prêt d’oublier.

RTD : Les morceaux « Industry » et « Amazing Old Tree » semblent liés et parlent de l’éducation et de l’écologie: êtes-vous « engagés » sur ce genre de sujets?

Théophile: Disons que ce sont des sujets que l’on trouve liés. Dans cet album, on décrit le monde qui nous entoure, on fait des constats. Tous les sujets qui touchent à notre société actuelle nous intéressent. Je ne pense pas qu’une civilisation puisse s’effondrer ou décliner juste à cause d’un manque de justice sociale par exemple (justement certaines civilisations ont prospéré grâce à l’esclavage). Ni à cause d’une dégradation de son environnement (on sait aujourd’hui que l’empire Romain ou les Mayas étaient presque aussi doués que nous pour saccager leur environnement). Ce qui nous pousse à faire un constat très pessimiste de l’état du monde dans cet album c’est plutôt le fait que beaucoup de facteurs se dégradent aujourd’hui (politique, écologie, justice sociale, éducation…) et que l’addition de tous ces facteurs pousse notre civilisation à toucher le fond…

RTD : Merci pour tes réponses et bonne continuation dans les projets futurs de Bruit

Théophile: Merci à toi !

En remerciant, Romain de l’Agence Singularités; Bruit ≤ et particulièrement Théophile pour son temps et ses réponses…

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