Interview: Entretien avec Robin de The Ocean

Les allemands de The Ocean viennent de sortir le troisième album de leur triptyque « Phanerozoic » avec « Holocene ». Nous avons eu l’occasion d’approfondir la réflexion du groupe et la composition de l’album avec Robin…

Les deux précédents albums ont exploré le Phanérozoïque avec des titres reprenant des périodes et époques stratigraphiques. Cet album « Holocene », fait écho au dernier titre de « Phanerozoic II: Mesozoic / Cenozoic ». Pourquoi avoir utilisé l’ancienne nomenclature pour les titres plutôt que la nouvelle (Greenlandien, Northgrippien, Méghalayen)?
Les termes Preboreal et Boreal ont un sens secondaire lié aux environnements froids, tandis que Atlantic et Subatlantic ont également un sens secondaire océanique, et dans l’ensemble, cela semblait beaucoup plus adapté aux chansons et à la musique qu’un terme comme Northgrippian auquel 90% de nos auditeurs ne pourraient pas s’identifier. Pour des raisons purement esthétiques. Nous sommes des artistes qui s’inspirent occasionnellement de la science et flirtent avec elle, et non l’inverse.

Pourquoi avoir inclus trois titres (« See of Reeds », « Unconformities » et « Parabiosis ») qui ne sont pas en rapport avec la stratigraphie?
Pour briser la chaîne de l’attente et de l’ennui. Sur tous les albums Phanerozoic, nous n’avons utilisé la stratigraphie ou la paléontologie que comme une ligne directrice ou un point de départ très approximatif, les paroles de toutes les chansons ont utilisé certains événements historiques comme initiateurs, mais « Silurian : Age of Sea Scorpions » n’est pas une chanson sur les scorpions de mer… encore une fois, c’est de la musique, de l’art, inspiré par la science… et non l’inverse. « Holocene », dans son ensemble, dilue intentionnellement le cadre conceptuel strict et s’en écarte encore plus. Il s’agit d’un disque sur le dernier chapitre de l’histoire de la Terre, mais chaque morceau a son propre sujet et son propre agenda – qui représente et reflète la multitude de perceptions, de points de vue, de théories et de positions auxquels nous sommes confrontés (ou dans lesquels nous nous perdons) aujourd’hui. Nous utilisons le terme « Holocène » comme synonyme de l’âge moderne et postmoderne, donc naturellement dans son approche c’est aussi un disque avec une architecture postmoderne et déconstructiviste qui s’éloigne de la grille paléontologique/historique stricte.

Je vois les deux précédents albums et celui-ci comme une trilogie. Est-ce que l’objectif à toujours été d’être une trilogie ou l’ajout de cet album est venu au fur et à mesure?
Non, « Holocene » est un enfant non désiré, il n’était pas censé voir le jour. Il est né parce que Peter a commencé à m’envoyer des idées fin 2020 que je trouvais inspirantes et auxquelles je voulais réagir, et nous avons donc commencé à nous renvoyer des idées l’un à l’autre… et quelques semaines plus tard, nous avons eu cet album, qui musicalement correspondait bien à la fin de « Phanerozoic II », il était donc logique d’ajouter un autre chapitre à la série et de faire une sorte de zoom avant, plus loin dans l’Holocène, après que nous ayons déjà ouvert cette ère avec le morceau de clôture de « Phanerozoic II ».

Étant donné que les étages stratigraphiques et l’histoire géologique de ceux-ci sont bien connus, dans quelle mesure et à quel moment sont-ils pris en compte dans la composition?
Cela dépend, mais en général, c’est au début du processus d’écriture ou lorsqu’il s’agit d’arranger les chansons dans un ordre pour construire la séquence de l’album, pour les « faire correspondre » à des événements dans les périodes, les ères ou les âges climatiques respectifs.

Parlons un peu plus précisément des paroles. Elles sonnent comme de la poésie, entre des récits des événements passés et des parallèles avec notre monde, il faut prendre pas mal de temps pour totalement les apprécier et les remettre dans leur contexte. Je me demande quelle est la part de recherches dans l’écriture des paroles et le temps que vous prenez pour les écrire?
Très peu de recherche et beaucoup de temps. Si je voulais copier le texte d’un livre de science (ou écrire des paroles qui sembleraient telles), ce serait essentiellement ennuyeux et compromettrait l’impact émotionnel de la musique et des mots. Après tout, la musique est un art, pas une science, et j’apprécie l’art et la musique qui me sortent les tripes de l’estomac, les retournent et les replacent à l’envers. C’est ce que j’attends de l’observation et de l’expérience de la musique et de l’art, et non d’un exposé scientifique. Comme je l’ai déjà mentionné, nous utilisons le cadre conceptuel paléontologique uniquement comme point de départ. La plupart des paroles ne font qu’un usage métaphorique des événements qui se sont produits au cours de ces époques et périodes de l’histoire de la Terre, tout en digérant des expériences personnelles, des développements contemporains et/ou des questions philosophiques.

En parlant de recherche sur les paroles, dans le titre « Preboreal », vous avez inclus une citation du poète Isidore Ducasse (aussi appelé Lautréamont), en français dans le texte : avez-vous étudié ses poèmes? Et comment avez-vous pris la décision d’inclure cette citation?
Les paroles de « Preboreal » sont basées sur les idées présentées par Guy Debord dans « La Société du Spectacle ». Les situationnistes se sont référés à Lautreamont et ont préconisé le plagiat comme outil créatif pour défier le conservatisme dans l’art et la culture (détournement), pour trouver un nouveau sens en cachant la source et en réinterprétant le sens de l’œuvre originale. Je suis un grand fan de Lautreamont depuis des années, c’est un vrai punk de son temps. Il y a un morceau sur « Precambrian » intitulé « Legions of Winged Octopi » qui est entièrement un texte original des Chants de Maloror…

De mon point de vue, l’album fait la part belle à la section rythmique (notamment la batterie), avec des guitares assez en retrait et une ambiance plus calme et posée (du moins sur les premiers titres). Il monte en puissance au fur et à mesure avec l’apparition progressive de riffs plus puissants et des growls. Était-ce une volonté? Ou cela s’est-il fait naturellement au fur et à mesure de la composition?
Pour être honnête, je n’ai jamais envisagé les choses sous cet angle. Toutes les pistes étaient initialement des idées de synthé de Peter, certaines étaient déjà accompagnées de rythmes, d’autres non. J’ai ajouté des guitares, des batteries programmées, des arrangements de cuivres et de vibraphines à ces pré-productions, en suivant ce que je sentais nécessaire pour chaque morceau. Parfois, cela a donné lieu à de nouvelles parties heavy, comme à la fin d’« Atlantic » ou d’« Unconformites », et parfois j’ai senti que ce n’était pas nécessaire, et alors c’est resté dans la gamme des idées et des arrangements initiaux de Peter. La batterie et les percussions ont toujours été très importantes pour notre écriture, et il en va de même pour les guitares. Le fait que la distorsion soit réduite sur plus de parties que sur certains albums précédents ne signifie pas que les guitares jouent un rôle moins important. Je pense que « Holocene » est un album qui se nourrit d’une large gamme de dynamiques, du fait qu’il n’y a pas d’intensité à 100% tout le temps…

Vous avez quelques dates de festivals à venir, une tournée des salles est-elle prévue ensuite? Et bien sûr passera-t-elle par la France?
Nous venons d’annoncer une tournée avec This Will Destroy You cet automne, et oui, il y aura quelques dates françaises (et enfin une date parisienne, après avoir dû repousser et finalement annuler notre concert en tête d’affiche de PZII là-bas 3 fois) :

10/10 – FR Paris, La Machine
13/10 – FR Toulouse, Metronum
15/10 – FR Montpellier, Rockstore

Pour finir, un petit mot pour les fans français?
Vous êtes beaux! (Ndlr : en français dans le retour des questions)

En remerciant, Clément de Vous Connaissez? pour l’opportunité de cette interview. Mais également à The Ocean et particulièrement à Robin pour son temps et ses réponses…

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